Gérard Violette (*1937) est rentré au Théâtre de la Ville de Paris en 1968. À l’époque administrateur général, il participe avec le directeur Jean Mercure, au renouveau du lieu, notamment en osant une programmation novatrice mêlant danse, théâtre contemporain mais aussi musiques du monde. Il prend la direction du Théâtre de la Ville en 1985 jusqu’en 2008. Durant toutes ces années, il a marqué ce lieu de son empreinte, donnant à la danse un incroyable essor et faisant du Théâtre de la Ville un haut lieu européen de la danse contemporaine. Tous les grands chorégraphes, tels que Pina Bausch, Mats Ek, Anne Teresa de Keersmaeker, Alain Platel, Boris Charmatz et tant d’autres, y ont montré leurs premières productions. Depuis 2000, Sasha Waltz & Guests y présente régulièrement ses créations.
1. Cher Monsieur Violette, vous vous êtes toujours engagé pour plus de danse contemporaine au sein de votre programmation du Théâtre de la Ville de Paris. Pourquoi cet engagement si durable pour la danse?
A l’ouverture du Théâtre de la Ville sous la direction de Jean Mercure, l’élément fondamental et fondateur a été de considérer – ce qui n’était pas encore le cas à l’époque – que la danse était (et reste) un art majeur et qu’elle devait avoir autant sa place que le théâtre sur les plateaux. Dès le départ, nous avons imposé la danse au sein de notre programmation, notamment en proposant des abonnements où le public devait choisir au moins un spectacle de danse pour 3 pièces de théâtre
Ce modèle était alors extrêmement osé mais il a porté ses fruits. Le public du théâtre s’est non seulement progressivement intéressé à la danse mais il lui est resté fidèle au fil des années. Nous avons commencé par programmer les grandes compagnies européennes de l’époque et assez rapidement nous avons accompagné l’émergence en France de toute la danse moderne américaine. Ainsi l’engagement pour la danse est un point essentiel de la politique et de la création du Théâtre de la Ville auquel je suis resté fidèle lors de mes années de direction.
2. Le Théâtre de la Ville de Paris est connu comme un grand lieu de coproduction pour la danse contemporaine depuis plus que quarante ans. Comment êtes-vous arrivé au stade de la coproduction? Est-ce que vous vous souvenez de la première compagnie invitée?
Je me souviens absolument de tout! (rire) La première compagnie invitée était le «Nederlands Dans Theater», compagnie connue en 1968 mais qui n’avait pas encore été identifiée, ce qui est arrivé plus tard avec la personnalité de Jiří Kylián. Comme je l’ai dit, au début nous avons invité les grandes compagnies de l’époque, souvent associées à des grands noms de la danse, comme, par exemple, le Ballet de Genève avec Balanchine. Mais petit à petit, nous sommes passés du stade de théâtre d’accueil pour spectacles déjà existants à celui d’accompagnateur de créations en coproduisant les compagnies. La coproduction est devenue l’axe fort de toute la politique du Théâtre de la Ville. Notamment car nous avons réussi à mobiliser nos spectateurs, à leur imposer l’idée qu’ils devaient prendre des risques avec nous et aller vers la création en ne sachant pas très bien quel allait être le résultat. C’est pour moi une des grandes aventures du Théâtre de la Ville et de la danse moderne depuis 1968.
3. La coopération entre le Théâtre de la Ville de Paris et Sasha Waltz a commencé en 2000 avec la pièce »Körper«, une coproduction de la Schaubühne Berlin et du Théâtre de la Ville. Comment est née cette coproduction franco-allemande? Pourquoi le travail de Sasha Waltz vous a intéressé?
Dans les années 90, mon collaborateur Serge Peyrat et moi, avons commencé à parcourir l’Europe pour voir des spectacles sur place. À plusieurs reprises, il m’a signalé qu’il avait vu à Berlin des œuvres très intéressantes…de Sasha Waltz. Il avait vu des pièces comme »Travelogue« ou »Allée des cosmonautes«. Quelques mois plus tard, Sasha Waltz est arrivée avec Thomas Ostermeier à la direction de la Schaubühne. Pour nous, la Schaubühne était alors le centre du théâtre européen, on était allé y voir des pièces de Peter Stein, et tout d’un coup ce temple du théâtre, allait être dirigé par deux jeunes artistes ayant le vent en poupe. C’était un événement extraordinaire. On a décidé alors d’inviter Sasha (déjà célébrée par le Festival d’Avignon à la fin des années 90) et de coproduire »Körper« qui, pour moi, est une très très bonne œuvre, la meilleure de Sasha peut-être, en tous cas une œuvre majeure de la danse. »Körper« a été un immense succès et nous avons souhaité accompagner cette grande artiste qu’est Sasha et la programmer régulièrement. De cette rencontre est née au fil du temps une véritable amitié entre Sasha, Jochen et moi-même.
4. Sasha Waltz & Guests a été nommée »Ambassadeur Culturel Européen« pour l’année 2013 par L’Union Européenne. Quelle est, selon vous, la tâche principale d’un ambassadeur culturel européen et comment Sasha Waltz & Guests peut remplir cette fonction?
Je ne connais pas cette tâche car la fonction d’ambassadeur m’est assez étrangère. Au Théâtre de la Ville, nous avons fait une politique auprès des artistes. Je n’ai jamais beaucoup aimé tout ce qui ressort d’un aspect un peu diplomatique et je peux donc difficilement répondre. Mais ce qui est formidable, c’est que Sasha Waltz est ambassadrice, son nom est connu et apprécié dans le monde entier et ça suffit déjà pour dire que c’est une bonne ambassadrice. La deuxième chose, c’est qu’elle est aussi ambassadrice d’une ville qui a pris un essor culturel considérable: Berlin. Mais moi, je suis un homme de terrain, c’est pour ça que je dis: La meilleure façon d’être ambassadrice, ce serait que tout d’un coup Sasha Waltz puisse donner des représentations partout en Europe, montrer que l’Europe est très créative et a de très grands artistes. La meilleure façon d’être ambassadeur est effectivement d’être présent sur le terrain.
5. En 2005, vous avez dit dans une interview que «la situation actuelle de la danse n’est pas très fertile, ce qui est lié, entre autres, à sa large diffusion qui a mené à une banalisation». Comment voyez-vous la situation actuelle de la danse contemporaine en Europe? Est-ce qu’il y a eu un changement dans les dernières années ou constatez-vous encore cette banalisation?
C’est une interprétation un petit peu forcée. Le problème est, il est vrai, que la danse a connu une période extraordinaire entre les années 1968 et 2000. Actuellement, c’est une période plus calme. Il n’y a pas d‘apparition d’artistes majeurs depuis un certain temps. Vous trouvez trop de compagnies influencées par Pina, par Merce Cunnigham ou d’autres. Il y a de plus en plus de spectacles pour des durées de représentation de plus en plus courtes et rarement de bonne qualité. Les bons spectacles sont trop peu représentés, ce qui est très regrettable. Et puis, ce sont souvent des solos et duos, vus par très peu de gens. Maintenant, les théâtres prennent de moins en moins de risques sur le plan artistique, ils coproduisent de moins en moins, ils n’entrent pas dans le stade de la création. C’est une évolution extrêmement dramatique!
Donc, pour l’avenir de la danse contemporaine, je souhaite des directeurs de théâtre plus audacieux. Je souhaite aussi qu’il y ait une apparition de véritables talents, des spectacles qui apportent quelque chose de nouveau, de personnel.